
En Afrique se développent de nouveaux services bancaires via téléphone quasi uniques au monde. Le continent ne compte pas moins de 560 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, soit théoriquement un Africain sur deux. Ce potentiel peut-il générer de la croissance économique ?
Il existe trois grand pôles en Afrique selon Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à Mines ParisTech et à Paris-Dauphine. L’Afrique «francophone» du Maroc, l’Afrique du Sud et l’Afrique de l’Est avec l’Ethiopie. «L’Afrique de l’Est se porte très bien, c’est de là que viennent la plupart des innovations», ajoute-t-il. Au Kenya par exemple, l’accès à la téléphonie mobile a permis de « sortir de la pauvreté 195 000 personnes », selon Sabine Mesplé-Somps, chargée de recherche en économie à l’Institut de recherche pour le développement. Cela grâce à la réduction des coûts de transaction notamment. Le numérique et la téléphonie mobile en premier lieu, pourraient-ils permettre de faire face aux défis du continent africain ?
En Afrique, la souscription à un abonnement de téléphonie mobile est de plus en plus généralisée et ne concerne plus uniquement les plus riches. En 2006, seulement 2.2% des personnes les plus pauvres avaient souscrit à un abonnement à la téléphonie mobile. Dix ans plus tard, 76% des plus pauvres avaient souscrit à un abonnement de téléphonie mobile, contre 90% des plus riches.
Grâce à la téléphonie mobile, les coûts de transaction sont réduits car seul un téléphone permet d’échanger de l’argent. Aussi, les femmes changent plus facilement d’activité. La souscription à un abonnement leur permet de faire plus de business et plus seulement des activités agricoles. Le monde paysan également a accès plus facilement à des informations, cela a permis de lisser les variations de prix intra-annuelles ou entre zones agricoles.
« Le numérique est le vecteur d’une croissance plus inclusive », affirme Julia Nietsch, responsable des partenariats stratégiques chez l’opérateur de téléphonie mobile Orange. Dans les banques, la téléphonie et le numérique ont permis de pouvoir épargner et transférer de l’argent : des actions encore mal connues en Europe par exemple. La responsable ajoute qu’Orange développe dans huit pays d’Afrique et du Moyen-Orient un service de téléphonie mobile à destination des agriculteurs afin qu’ils puissent vendre leurs produits au meilleur prix, et se renseigner sur la meilleure période pour semer grâce à un centre d’appels.
Des contraintes structurelles persistantes
Plusieurs freins au développement du continent existent encore néanmoins. « Un taux de pauvreté très important déjà, les défis de l’alphabétisation, de l’accès à l’électricité (seulement 40% des habitants d’Afrique subsaharienne ont accès à l’électricité), les problèmes d’accès aux infrastructures d’assainissement…», liste Sabine Mesplé-Somps. À ceci s’ajoutent les problèmes de malnutrition. Au Mali en 2016 par exemple, 32% des enfants de moins de 5 ans souffraient de malnutrition chronique et 15% de malnutrition aiguë.
« Ne serait-il pas possible de prendre une partie des bénéfices que les grandes firmes font sur notre territoire pour développer des infrastructures ? », interroge un étudiant en agrégation à l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Analyse Economique de Dakar. Et d’ajouter : « On pourrait peut-être aussi contourner la réglementation, pour ouvrir les services publics à nos concitoyens, car parfois l’administratif est laborieux ».
Dernier point évoqué lors de la conférence : la fuite des cerveaux, une question fondamentale en Afrique. Une étudiante en master Big Data à l’Université Paris-Dauphine de Tunis souligne : « la majorité des jeunes diplômés recherchent un travail sur le marché européen ou américain ». Pour elle, il est nécessaire de pousser ces étudiants à rester dans leurs pays d’origine, afin de créer une start-up ou de se lancer dans l’entreuprenariat. Et de conclure : « l’Afrique peut se rattraper lorsqu’elle traite ses propres problématiques. À mon avis, dans quelques années, on pourra trouver un concurrent de la Silicon Valley américaine sur notre continent. »