Quand la Chine mise sur le réchauffement climatique pour faire passer ses cargos

Le dégel de la banquise arctique ouvre de nouvelles routes commerciales.

Transports, infrastructures, coopération douanière et juridique, le mégaprojet de Xi Jinping couvre une multitude de champs. Parmi ces « nouvelles routes de la soie » exposées aux Jéco ce jeudi, la route polaire est particulièrement révélatrice d’une ambiguïté chinoise sur l’écologie. 

« Personnellement, j’aime bien la banquise »: sous cette formule faussement naïve, Martin Landais, le chef du bureau Asie à la direction générale du Trésor français, illustre un paradoxe chinois (et même planétaire) : se faire l’égérie de la lutte contre le réchauffement climatique et par ailleurs miser sur la fonte des glaces qui ouvrira une route par l’Arctique.

30 000 km à parcourir et 900 milliards de dollars 

Depuis le lancement du grand projet de Xi Jinping des « nouvelles routes de la soie » (aussi connu sous le nom de « Belt and Road ») en 2013, les ambitions chinoises grandissent en continu. « Au début, on parlait de 68 pays concernés, aujourd’hui ce serait 130 pays et institutions », éclaire Alice Ekman, spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Les chiffres évoqués sont impressionnants : 30 000 km d’autoroutes, d’infrastructures et de voies maritimes (voir carte ci-dessous), et 900 milliards de dollars. Et incroyable mais vrai, les prétentions chinoises s’étendent jusqu’au pôle Nord, et aussi l’espace !

La route de la soie polaire n’est pas une utopie, elle est déjà bien réelle. En septembre dernier, un premier cargo brise-glace a rejoint Rouen depuis Lianyungang, en Chine, par la voie arctique. Une première rendue possible par la fonte de la calotte glacière due au réchauffement climatique. La voie a pu être empruntée par le passé mais par des brise-glace à propulsion nucléaire dont les coûts ne rivalisent pas encore avec ceux de l’océan Indien. La route polaire serait donc libre plusieurs mois par an, et permettrait de gagner 15 jours sur le détroit de Malacca. « C’est en partie pour se libérer de cette dépendance au détroit malaisien que la Chine a entamé ce projet de nouvelles routes de la soie », décrypte Martin Landais.

« Le jour où [la banquise] aura fondu, le niveau des mers aura monté de sept mètres. Et je vous donne rendez-vous pour savoir ce qu’il se passe sur les côtes et les petites îles », s’énerve Serge Marti, le modérateur de la conférence, à une question du public. Selon le rapport du GIEC, les prévisions seraient aux alentours d’un mètre à la fin du siècle, et déjà les conséquences seraient effectivement désastreuses pour les villes côtières. La Chine, premier pollueur mondial avec 24% des rejets de CO2, est également le premier pays producteurs d’énergies renouvelables. Xi Jinping tente d’entamer une transition écologique car les conséquences politiques (et économiques) du désastre environnemental en cours seraient trop importantes. La question est de savoir si ces prétentions écologiques sont en adéquation avec les ambitions commerciales des routes de la soie. Voilà tout le paradoxe chinois. Pour Martin Landais, ce n’est pas tellement que les Chinois souhaitent le réchauffement climatique mais qu’ils ne veulent pas « être en reste » sur les opportunités de nouvelles routes commerciales.

Clara Robert-Motta