Daniel Cohen : « On observe une sorte de coup de blues existentiel des Français »

Daniel Cohen, président de l'Ecole d'Economie de Paris, intervenait aux Jéco 2021.

Président de l’Ecole d’Economie de Paris, le professeur et auteur Daniel Cohen était l’invité des Jéco, ce mercredi, pour nous parler de résilience économique. Malgré la forte reprise de la croissance française au troisième trimestre (+3%), l’économiste rappelle que la baisse de recrutement dans certains secteurs reste un problème dont les pouvoirs publics doivent s’emparer.   

D’abord, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le phénomène « The Great Resignation » aux Etats-Unis ?

Ce terme anglais renvoie au nombre très important d’Américains qui ont démissionné après la crise. Ce qui est étonnant, c’est que cette tension au sein du marché du travail n’est pas liée à une augmentation du taux de chômage, mais plutôt à un sentiment global de découragement.

Parmi ceux qui ont démissionné, on retrouve des gens âgés ou en fin de carrière qui n’ont pas eu envie de remettre un coup de collier. Il y a aussi beaucoup de femmes qui se sont retirées. Mais cela concerne également des salariés actifs aux alentours de 40 ans, des domaines plus qualifiés comme celui de la « tech’ ». Il y a aussi beaucoup de salariés dans certains secteurs précaires qui ne souhaitaient pas reprendre le travail dans de mauvaises conditions.

Observe-t-on le même phénomène en France ?

On retrouve dans l’Hexagone ce refus de reprendre un emploi précaire dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration ou celui de la santé. Mais ce retrait volontaire du marché du travail est plus sectorisé, plus diffus. On n’a pas encore d’études précises comme aux Etats-Unis.

La possible analogie entre la France et les Etats-Unis tient aussi au fait qu’on remarque une sorte de coup de blues existentiel des Français, malgré les bons chiffres de la reprise économique. D’après les résultats d’une enquête d’Ipsos, du « Monde » et de la Fondation Jean-Jaurès, l’inquiétude, l’incertitude et la fatigue sont les sentiments les plus partagés par les Français. La colère, comme celle du mouvement des gilets jaunes par exemple, semble, elle, éteinte.

Quelles sont les solutions pour lutter contre cette fatigue ambiante ?

Des conditions de travail dignes qui donnent envie aux Français de retourner travailler. Il faudrait aussi réussir la transition vers le télétravail. Beaucoup de salariés demandent à présent de travailler à distance, alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que les gens souhaitent retrouver leurs collègues et la vie normale. Pour certains c’est le cas, mais pas pour tout le monde. Mais il y a des pièges à éviter, comme la confusion entre télétravail et le modèle de profession libérale, ou encore la solitude sociale. Un jour en visio, c’est un 35 heures amélioré, deux jours c’est déjà une rupture, et trois jours c’est un changement qualitatif fondamental.

A l’approche de la présidentielle, pensez-vous que ces thématiques soient assez mises en avant ?

Je ne suis pas sûr que le débat ait réellement commencé, il se cherche encore. Les questions des rémunérations, de la santé publique ou encore du climat ont un rôle important pour réinventer des politiques publiques.

Il y a des propositions variées sur le pouvoir d’achat et la revalorisation des salaires, mais il faudrait qu’elles soient au cœur des campagnes. Il faut que l’ensemble des candidats s’accordent à débattre en profondeur sur la manière de travailler, d’enseigner, de soigner… J’espère que ce moment viendra. 

Propos recueillis par Juliette BOURGAULT