
Tout le monde _ ou presque _ a été keynésien pendant la pandémie ! Le gros de la crise semblant derrière nous, est-il temps de ralentir sur les dépenses et les plans de relance faramineux ? Ou faut-il au contraire continuer à investir, notamment dans la transition écologique ? Quatre économistes de premier plan en ont débattu aux Jéco, ce vendredi matin.
À l’ouest rien de nouveau : la pandémie a bouleversé nos conceptions de la macroéconomie, et particulièrement de la dette publique. Notamment parce que « l’intervention de l’Etat a été massive et sans précédent », décrit Natacha Valla, doyenne de l’Ecole du management et de l’innovation de Sciences Po. Mais la question est désormais d’être efficace dans les dépenses, selon cette ex-économiste de la Banque Centrale Européenne : « Si l’on continue à creuser la dette publique, sans avoir de croissance économique derrière, cela va être difficile », prévient-elle, faisant à demi-mot référence à une possible hausse des impôts.
La menace de la dette
Jean-Pierre Landau acquiesce devant ce discours, avant de prendre la parole : « Et si la dette devenait insupportable pour la France ? ». Usant d’une parabole, l’enseignant à Sciences Po compare la dette à un armement militaire : « La pandémie, ça peut recommencer à tout moment. Et si ça recommence, il faut qu’on ait sous le pied des munitions. On ne pourra pas indéfiniment dépenser 17% du PIB ». D’autant que « le problème de la dette, c’est extrêmement douloureux pour une population. Quand un pays est confronté à ça, il est seul », martèle l’économiste, faisant planer un lourd silence inquiet dans la salle. La menace d’une éventuelle légère hausse des taux d’intérêt mettrait la France et plusieurs autres pays de l’Union Européenne en sérieuse difficulté.
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C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz, voudrait plus de consultation des citoyens à propos de l’endettement : « Ces décisions sont prises sans démocratie, sans compréhension des sujets. On n’a pas expliqué aux citoyens ce que cela signifie. Pour moi, il faudrait plus de débat sur l’endettement, parce que ce sujet nous engage tous ». Dénonçant également le recours à l’Etat « à chaque petit problème », l’assureur voudrait que les entreprises du privé, auquel il appartient, prennent davantage leurs responsabilités. « Pendant la pandémie, l’Etat a plus que compensé les pertes des entreprises privées », rappelle-t-il, dénonçant une distorsion du capitalisme à cause de la trop grande intervention de l’Etat.
Toutefois, Ludovic Subran se veut rassurant sur la question de la dette, car le plan de relance n’est pour lui « pas de la relance », mais plutôt un plan d’investissement beaucoup plus large, destiné à favoriser la croissance économique dans un futur plus lointain. Dans ce cas, les sommes impliquées ne seraient donc pas si impressionnantes. Son voisin, le président de l’OFCE, Xavier Ragot, partage son optimisme : « Les taux d’intérêt sont faibles et le resteront », affirme-t-il franchement. Pas de raison donc de s’inquiéter de la soutenabilité de la dette selon lui, d’autant que la forte inflation permet aux recettes de l’Etat de progresser aussi ; pas de quoi s’inquiéter pour les impôts non plus, donc.
Le budget d’abord ?
Pour le président de l’Observatoire, la priorité est donc d’investir massivement, notamment dans l’éducation, comme souhaité par les Français interrogés pour le sondage de la Banque de France publié la semaine dernière. Et pour cela, il faut prioriser les dépenses publiques : « La politique monétaire ne marche pas. Oublions ça, d’abord l’Etat ! ». Ce à quoi Natacha Valla répond que « La Banque centrale, c’est l’Etat. C’est même le garant de la monnaie souveraine : il y a tout un univers de risques macro financiers qui peuvent être bien mieux gérés par l’institution financière que par l’Etat », explique-t-elle.
Notamment à cause des échéances politiques. D’ailleurs, « le prochain locataire de l’Elysée sera sous l’œil d’aigle de l’Allemagne », pronostique-t-elle. Sans compter que d’autres banques centrales ont commencé à relever leurs taux d’intérêt ; la BCE pourrait vouloir faire de même d’ici peu.
Marine SALAVILLE