La condition animale, grande absente de l’économie

Un sujet inédit aux Jéco : « L’économie de la condition animale ». Quatre intervenant⸱e⸱s ont expliqué ce que l’économie pouvait apporter aux réflexions sur le bien-être des animaux.

« Il est temps que les économistes travaillent sur le bien-être animal », table d’entrée Nicolas Treich, directeur de recherche à l’INRA, lors de la conférence qui y est consacré ce jeudi. Les champs de l’économie sont nombreux, mais il n’en existe pas un de dédié. Pourtant, « la raison principale qui explique le mauvais traitement des animaux est économique : des logiques de marché pour baisser les coûts de production ». Depuis 2015, la loi dispose que les animaux sont des « êtres vivants doués de sensibilité ». Selon Nicolas Treich, ils ont donc un « bien-être » et une « fonction d’utilité », deux notions économiques. 

Le bien-être des animaux est d’ailleurs défini par l’Anses depuis 2018 comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que ses attentes ». Une définition jugée « satisfaisante » par Luc Mounier, vétérinaire et responsable de la chaire « bien-être animal » à VetAgro Sup. Pour étudier économiquement le bien-être animal, il est nécessaire de pouvoir le mesurer. Pour ce faire, le docteur expose l’existence des « cinq libertés » définies par l’Organisation mondiale de la santé animale : l’absence de faim, de soif et de malnutrition, d’inconfort, de peur et d’anxiété, de douleurs et de maladies, et la liberté d’expression d’un comportement normal de son espèce.

L’élevage intensif au cœur de la réflexion

La question de l’élevage intensif a été largement abordée par les quatre intervenantes, en raison des « ordres de grandeur » justifie Romain Espinosa, chercheur en économie au CNRS. En effet, l’élevage représente 1 milliard d’animaux terrestres abattus en France, contre 30 à 50 millions pour la chasse. Comment expliquer que 9 Françaises sur 10 sont contre l’élevage intensif alors qu’il concerne 80% des animaux élevés ? Selon Romain Espinosa, l’économie peut apporter des éléments de réponse à ce paradoxe via trois pistes. D’abord « l’ignorance sincère », parce que les individues n’ont pas accès aux informations. Il y a aussi la « dissonance cognitive » entre les principes moraux et les actes de chacun. Enfin, il évoque le « bien public », parce que les individues ne sont pas prêts à consommer moins de viande même si cela serait bénéfique à la transition écologique.

« Pour renoncer à l’élevage intensif, il faut consommer moins de viande », lance Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214. « L’amélioration du bien-être animal dans les élevages intensifs, ce n’est pas possible », estime-t-elle. Pour le vétérinaire Luc Mounier, « les éleveurs ne peuvent pas changer du jour au lendemain leurs pratiques. Ça nécessite un accompagnement des consommateurs, des pouvoirs publics et des économistes. » Le docteur conclut : « Si on améliore le bien-être animal, on améliore le bien-être humain. » C’est le principe du « One Welfare », « un seul bien-être ».

Léa Beaudufe-Hamelin